POUR QUE LE PRIX NOBEL DE LA PAIX AU DR MUKWEGE ESQUIVE LE SPECTRE D’« INDÉPENDANCE CHA-CHA !»

« Ma compagne chérie,

L’histoire dira un jour son mot (…). L’Afrique écrira sa propre histoire et elle sera au nord et au sud du Sahara une histoire de gloire et de dignité. » (Dernière lettre de Patrice Lumumba à son épouse Pauline).

BRISTOL (Royaume-Uni, 01/11/2018). Norbert MBU-MPUTU. Dr MUKWEGE, PRIX NOBEL DE LA PAIX 2018. Le Prix Nobel de la Paix 2018 a été octroyé à deux personnalités dont le Congolais Dr. Denis Mukwege. Même si elle était attendue depuis longtemps, il faut éviter que la nouvelle ne se refroidisse vite. Comme c’est souvent le cas avec des faits sociaux, les nouvelles actualités supplantant les anciennes. Surtout que, pour ce cas précis, les officiels et le régime du propre pays de Dr. Mukwege, en l’occurrence la République Démocratique du Congo, semblent, et Dieu seul sait pourquoi, ne pas festoyer l’événement à son juste niveau. Le pouvoir et le régime donnant l’impression de se sentir coupables de quelque chose, Dieu seul sait laquelle. Dès lors la réflexion est de se demander comment faire pour que ce Prix Nobel de la Paix ne ressemble à l’indépendance cha-cha, c’est-à-dire un prix sur papier sans impact réel et n’apportant pas un changement dans ce qui constitua la raison d’être de l’octroi de ce Prix Nobel : les guerres congolaises ayant fait des viols des femmes une arme de ces guerres.

LE SPECTRE DE « AVANT » EST ÉGAL À « APRÈS ». Aussi, en termes de ce qui lui a valu

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Dr Mukwege récevant la bénédiction de sa maman après l’annonce du Prix Nobel de la Paix

une telle reconnaissance internationale, c’est-à-dire le fait d’être le réparateur des femmes violés de l’est du Congo, la conséquence manifeste de la guerre qui s’y déroule depuis 1996, la crainte, le risque et la déception seront grands si les choses sur le terrain après la réception de ce prestigieux prix le 10 novembre prochain à Oslo resteraient égales à avant la réception de ce prix; c’est-à-dire les viols des femmes et la guerre congolaises continuant comme par le passé.

Au fait, l’histoire du Congo-Kinshasa est balisée de ces spectres des « avants » équivalant aux « après ». Depuis qu’un certain général Belge Janssens, commandant en Chef de l’armée à l’indépendance, avait écrit, urbi et orbi, quelques jours seulement après la célébration de l’indépendance, sur un tableau noir au camp Léopold II de Léopoldville, actuel camp militaire Colonel Kokolo de Kinshasa, cette phrase proche d’une prémonition ou d’une prophétie avant l’heure : « après l’indépendance = avant l’indépendance ». Nombreux faits dans l’histoire du Congo illustrent une telle assertion, les derniers en date étant par exemples la non différence manifeste entre le MPR Parti-État et le parti au pouvoir à Kinshasa, le PPRD ou ce qu’il en est de sa coalition qui a crut bon de prendre le nom du « Front Commun », un emprunt d’un nom des années 1960 des chevaliers Congolais de la Table ronde de Bruxelles; les élections attendus risquant d’être tout sauf des élections libres, transparentes et démocratiques ; les prestations de certains journalistes et politiciens proche du pouvoir, surtout lorsque orchestrant sur les médias nationaux, rappelant certains personnages et même des souvenirs noirs d’hier ou d’avant-hier ; les biens mal acquis devenus une nouvelle mode de vie de ceux autour de la mangeoire nationale; le rôle des évêques catholiques similaire à celui qu’ils ont joué lors des années de la dictature de Mobutu; la diaspora engagée qui a cru bon de se nommer les « combattants », reprenant une dénomination des années de transition usée alors par l’UDPS; le retour aux affaires et aux enfers des « intouchables », des « bana ya » (fils et filles de) et des « barrons de Binza » appliquant la devise jadis du MPR renversée en « se servir et non servir » selon le jargon en Swahili, la nouvelle lingua franca forçant de remplacer le Lingala, « ni tour yetu sasa » (c’est notre tour maintenant de bouffer et de jouir de la mangeoire nationale), etc. Autant d’exemples dont de petites exceptions ne faisant que confirmer la règle.

LE PARADOXE. Alors que normalement, étant premier Congolais dans l’histoire du Congo ayant obtenu un Prix Nobel (de la Paix), chose n’arrivant qu’une fois la décennie ou même la génération, pour reprendre cette jubilation arrachée de l’écrivain Congolais de Brazzaville Alain Mabanckou, le gynécologue Dr Denis Mukwege aurait été mieux célébré, avec plus de fastes et surtout avec des séminaires, des conférences, des méditations pour tirer toutes les conséquences possibles de cette reconnaissance internationale. Hélas !

INDÉPENDANCE CHA-CHA. Comme souvent les peuples demeurent tributaires de leur histoire lorsqu’ils n’en tirent pas ses leçons et risquant de répéter les erreurs du passé, la crainte est que ce prix au Dr Mukwege ne vienne juste que dans le droit chemin d’un autre folklore historique du Congo : son indépendance un certain jeudi 30 juin 1960, une indépendance célébrée et symbolisée par une chanson célèbre : « indépendance cha-cha ». Au fait, nombreux africains et africanistes se souviennent et n’évoquent ces indépendances africaines des années 1960 qu’avec cette chanson. C’est là que le bas blesse et que la chose invite à une méditation profonde !

L’ÉPÉE DU ROI. Au sujet de cette même célébration de l’indépendance du Congo, certains pourrons ajouter, en filigrane parfois, cette scène quasi rocambolesque du Congolais Ambroise Boimbo. Nous sommes la veille de la célébration de l’indépendance. Pendant que, montés sur une voiture décapotable, le Roi Baudouin des Belges, à côté du premier président du pays Joseph Kasa-Vubu, passait les troupes en revue, le sieur Boimbo réussit à voler et à s’enfuir avec l’épée du Roi, retiré de sa gaine, avant de se faire rattraper, en retard, par la police. Ces  scènes furent immortalisées par ces photos d’anthologie de Robert Lebeck présent, comme par hasard, sur les lieux.

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Léopoldville, le 29 juin 1960 : Boimbo arrachant l’épée du roi.

Mais, aussi, les plus historiquement branchés rappellerons certes ce discours considéré comme un crime de lèse-majesté du Premier ministre d’alors Patrice Lumumba. Autant des scènes improvisées corroborant à cette indépendance cha-cha.

LE SPECTRE DE L’ÉTERNEL RETOUR. Dans toutes ces évocations, c’est le spectre d’une indépendance de façade qui plane jusqu’alors sur l’histoire du Congo, les acteurs se succédant et surtout s’imitant presque : Léopold II ayant été remplacé par les Belges, ceux-ci s’étant fait remplacer par les politiciens nouveaux Congolais, avant que Mobutu et ses dinosaures chapeautés par les Binza Boys (Groupe de Binza) ne viennent piller et saigner à blanc le pays. Quant aux régimes des deux Kabila, ils se sont vite illustrés comme étant des prédateurs du Congo, peut-être pour payer les fameuses factures des dernières guerres, tout en n’évitant pas de se servir aussi. Au fait avec de nombreux anciens dignitaires de MPR dont nombreux ont d’ailleurs rejoint le nouveau pouvoir, avec parfois les mêmes rôles, ce pouvoir et ce régime semblent s’être malheureusement mis sur les mêmes traces des Mobutistes, alors que ces derniers furent vraiment vomis par la population.

Puis, pour en ajouter aussi à ce spectre vu à l’international, l’assassinat odieux du journaliste Saoudiens Khashoggi dans le consulat de l’Arabie Saoudite à Istanbul est une copie conforme du modus operandi usé dans l’assassinat de Patrice Lumumba, Maurice Mpolo et Joseph Okito un certain 17 janvier 1961 à Élisabethville, aujourd’hui Lubumbashi : leurs corps disparurent dans l’acide ! L’on croirait vraiment rêver avec des yeux grandement ouverts ! En Afrique aussi, un coup d’œil par exemple de dernières élections ivoiriennes font jaser plus d’un analyste objectif : c’est du déjà-vu !

UN PEU D’HISTOIRE. Revenons donc, pour nous rafraichir la mémoire, sur la chanson « Indépendance cha-cha ». Elle fut au fait une vraie improvisation de mains de maître de ce groupe hétérogène ayant accepté de prester sous le label d’African Jazz et sous la direction de Joseph Kabasele, groupe  invité à Bruxelles pendant la Table ronde, du reste carrée, où les Belges et les Congolais devaient débatre du chemin et du schéma sur l’avenir du Congo. En arrivant à Bruxelles, ni les amphitryons Belges, encore moins leurs hôtes Congolais, hormis Joseph Kasa-Vubu et une partie de son Abako, n’avaient planifié et pensé à une indépendance du Congo le plus rapidement possible et sûrement pas au 30 juin 1960, soit quatre mois après la Table ronde qui se tint de fin janvier à fin février 1960.

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Acte de l’indépendance de la RDC

La première stupéfaction vint lorsque les Congolais s’unirent au sein d’un « Front Commun » sous la présidence de Jean Bolikango, leur doyen en âge, pour que tous ne puissent que parler d’une seule voix, poussant les Belges à se mordre les doigts d’avoir préalablement déboursés des fonds énormes de corruptions aux politiciens Congolais qui s’en servirent bien. Cette coalition sui generis leur permit ainsi de ne pas aller par quatre chemins et de demarrer les hostilités avec la date de l’indépendance. Avec comme souffleur Cléophas Kamitatu, c’est ainsi que, prenant le fait que la colonisation du Congo avait démarré un certains 1er juillet 1885, Jean Bolikango proposa la date vite acceptée par tous du 30 juin 1960 comme celle de l’indépendance du pays.

La deuxième surprise belge fut ce front pour la libération de Lumumba de sa prison du Katanga pour venir rejoindre les autres, chose qui sera faite rapidement. D’ailleurs, en arrivant à Bruxelles alors que la Table ronde avait déjà commencé et que la date de l’indépendance déjà débattue, Lumumba prit ce train en marche et imprégna des assises de son aura.

L’AFRICAN JAZZ ET THOMAS KANZA. Pour effectuer ce voyage à Bruxelles, ces musiciens Congolais furent invités et parrainés par Thomas Kanza, ancien universitaire en Belgique travaillant alors au bureau du Marché Commun (l’ancêtre de l’Union Européenne), pour agrémenter les soirées des politiciens Congolais après ces travaux qui se tenaient en hiver. Après avoir aidé aussi ces Pères dans la formation du Front Commun, avec cette première victoire de la date de l’indépendance ainsi arrachée, il  précéda les politiciens à l’Hôtel Plazza, leur lieu de désaltérèrent, qui était aussi le lieu de prestation des musiciens Congolais dans un coin bien aménagé. Sur un morceau de papier où il avait rapidement écrit les noms des politiciens Congolais et des formations politiques les plus en vue,  il demanda à Joseph Kabasele d’improviser une chanson pour ainsi accueillir, à leur arrivée, les politiciens qui venaient de remporter une première victoire mémorable à inscrire dans les annales du Congo.

Comme dans la rumba congolaise d’alors, le rythme et la danse en vogue étaient le « cha-cha » afro-cubain, un chacun de ses sept musiciens du groupe en ajouta du sien pour ainsi improviser cette chanson désormais d’anthologie : « indépendance cha-cha », le tour était ainsi joué. Et, au retour de la Table ronde et même après, à défaut d’un hymne national bien maîtrisé, ce fut « indépendance cha-cha », du moins dans sa version enregistrée, qui combla le vide et devint un opus célèbre et célébré partout en Afrique et au monde comme le symbole de l’indépendance du Congo et de celle des pays africains.

L’IRONIE. Symboliquement, de toutes les indépendances africaines, celle du Congo-Kinshasa ne tarda par à se démontrer n’être qu’une indépendance de jouissance et de façade : les Belges et les colons, jurant sur le pari-congolais, décidèrent de reprendre par la main gauche ce qu’ils donnaient l’impression d’avoir lâché ou de perdre ou qui leur avait été arraché de la main droit. La suite est connue : les plus farouches des indépendantistes écartés ou même assassinés dont Patrice Lumumba, le premier d’entre tous, et ses compagnons Mpolo Maurice et Joseph Okito. Quant à l’avenir du pays, elle se trouva hypothéqué jusqu’à ces jours, les dirigeants successifs n’ayant été que des copier-coller de Léopold II ou des Belges partis, devenus tous des « Blancs à la peau noire » ; ou comme il se dit en Lingala ou en Kikongo respectivement des « mindele ya loposo moindo » ou des « mindele-ndombe ». La même chose sera répétée par Mobutu avec la deuxième tentative d’indépendance que fut la Conférence Nationale Souveraine qui s’acheva de la façon que l’on sait; puis, lorsqu’il vint aussi mettre fin à la dictature de Mobutu et que, une année après, il voulut prendre aussi son indépendance, le nouveau président Laurent-Désiré Kabila finit aussi ses jours dans une autre tragédie dont on est toujours loin d’analyser comment elle s’est effectivement passée.

LA DÉCLARATION DE L’INDÉPENDANCE. Puis, pour en ajouter à ce côté raté et même folklorique de cette indépendance du Congo, il faudra savoir qu’il n’eut pas de  proclamation de l’indépendance du Congo, mais plutôt un simple acte, un constat, une déclaration conjointe des gouvernements congolais et belges. Encore que, l’acte en question fut une seule phrase de vingt et un mots en trois lignes dactylographiés sur un simple papier A4 et signée, non pas par le Roi des Belges et le tout nouveau président de la république du Congo, Joseph Kasa-Vubu, mais par les Premiers Ministres Belge et Congolais, Gaston Eyskens et Patrice Lumumba, et leurs Ministres des Affaires Étrangères Pierre de Vigny et Justin-Marie Bomboko. Ce papier ne portait d’ailleurs aucune marque officielle, aucun signe administratif, aucun symbole des deux États, ni des armoiries des deux pays, encore moins de sceaux officiels.

Chose plus grave au sujet de cette « indépendance cha-cha » du Congo, comme le fait remarquer le Conservateur en chef des Archives Nationales du Congo, le professeur Lumenganeso Kiobe, la République Démocratique du Congo ne possède à ces jours pas l’original de cette déclaration officielle de son accession à l’indépendance ; donc, ajoute l’éminent professeur, si l’on venait à la contester, juridiquement, le pays n’aura aucun outil permettant d’entrer dans ses droits, même si une telle chose est impensable certes, mais on ne sait jamais.

Autant des symboles faisant penser ainsi que l’indépendance du Congo est restée jusqu’alors une « indépendance cha-cha », une indépendance de surface, une indépendance folklorique.

LES MYTHES. Encore plus, pendant la campagne aux élections ayant précédés cette indépendance, avec les politiciens revenus de la Table ronde et l’ayant fait encore une fascination, alors qu’elle était déjà terminée, il naquit nombreux mythes dont celui de l’indépendance que certains politiciens avaient ramené dans leurs poches (où ils mettaient d’ailleurs des cacahuètes). A la question de la montrer au peuple, Jean Bolikango, un Mungala, par exemple, déclara qu’il craignait la voir être volée par les Bakongo, d’où devait-il la garder dans sa poche ! Tandis qu’un Antoine Gizenga, de son côté, s’anoblit du mythe d’avoir chez lui ou avec lui le livre d’or d’indépendance, mythe dont il se fait encore habiller jusqu’à ces jours.

C’est autant dire, symboliquement, le caractère quasi improvisé ou arraché de cette indépendance du Congo en fit un vrai dindon de la farce, alors qu’elle fut la seule indépendance dont la célébration connut paradoxalement la présence des délégués du monde entier, l’ONU comprise. Jamais un autre pays au monde ne bénéficia d’une telle attention et d’un tel honneur internationaux dans son histoire, hormis peut-être l’Afrique du Sud à l’avènement de Nelson Mandela.

Mais, ces nombreux invités et participants à ces festivités inaugurèrent une autre épine sous les pieds de l’indépendance du Congo : l’inauguration de ce que Madame Andrée Blouin appela être une Tour de Babel qui engendra la cacophonie et l’échec de cette indépendance qui demeura une « indépendance cha-cha », son seul symbole survivant et ayant survécu depuis lors. Certains de ceux-là arrivés avaient des rôles précis et officiels, mais la plupart œuvraient « under cover » ; il eut des personnes bien intentionnées comme peut-être le premier ambassadeur de la Belgique au Congo Jean van den Bosch dont les sages conseils, s’ils avaient été suivis par son propre gouvernement, auraient pu empêcher la situation chaotique qui suivit l’indépendance du Congo ; mais il eut aussi des férus des coups bas et des spécialistes des services secrets comme le fameux directeur de la CIA Larry Devlin et la responsable de MI6 britannique Daphne, tous deux ayant joué des AfricanJazzIndependanceChaCharôles à questionner dans les crises congolaise d’alors.

LE PLUS GRAND SILENCE. Cette situation sembla continuer dans l’histoire du Congo jusqu’aux dernières guerres d’invasions postcoloniales débutées en 1996 aux conséquences tragiques et dramatiques dont les viols poursuivant des femmes Congolaises, tragédie et drame ayant été à l’origine de ce Prix Nobel de la Paix à Dr Mukwege, prix à partager avec l’Irakienne Nadia Murad, cette dernière ayant été elle-même une victime de ces viols chez eux, notre Dr Mukwege étant le réparateur et le faiseur des miracles pour guérir ces ignominies. Au fait, comme le stigmatise encore Alain Mabanckou, ces viols portent atteinte à ce que l’homme a de plus humain et la fondation même de son existence : la femme, son corps intime. Car, ajoute-t-il, lorsque un être dit être né à une date donnée, c’est au fait la date à la quelle il est sorti du corps sacré de la femme, de sa maman, du reste personnage unique au monde.

D’où, la question primordiale toujours sans réponse : pourquoi ces viols des femmes congolaises ne soulèvent pas encore une tôlée générale qu’ils auraient pu normalement soulever ?

A moins que ces viols ne soient amoindris jusqu’à devenir inaudibles, ensemble avec toutes les guerres congolaises depuis, par cette autre animalité légendaire dans la région de Grands Lacs et ayant glissée jusqu’aux Congo : le génocide rwandais de triste mémoire dont les Congolais et leur hospitalité légendaires continuent de payer les pots cassés, dans le plus grand silence de l’ONU et de grands de ce monde.

EST-ON SEULEMENT SÉRIEUX ? Bien plus, les guerres Congolaises, les dernières, taxées par tous comme étant les pires atrocités africaines depuis les indépendances, si les déclarations des uns et des autres sont vraies et si ceux les ayant soutenues et continuant à les soutenir sont sérieux, contrastent, jusqu’à ces jours avec le grand silence sur les misères et atrocités dont sont victimes les paisibles et pauvres citoyens Congolais, avec les dernières attribuées à des rébellions vraies ou fausses. A ce paradoxe s’ajoute, sans que personne ne se pose la question sérieusement de la raison d’être de la présence de 20.000 casques bleus de l’ONU depuis bientôt vingt ans au Congo, des casques bleus incapables de stopper ces atrocités se commentant surtout sous leurs barbes parfois et sous leurs nez. C’est même navrant au point où la chose pousserait même à la rancœur.

Si la MONUSCO actuelle n’est pas capable d’arrêter ces atrocités, qu’elle dégage et remette son tablier à ceux pouvant faire le job en un temps record, comme jadis les SAS Britanniques ayant terminé, en un temps record et sûrement à moindre frais, la fameuse et tragique et dramatique guerre sierra-léonaise où de nombreuses initiatives y mordirent la poussière dans ce qui devint une guerre d’usure. Une guerre se gagne ou se négocie, lorsqu’elle devint une guerre des tranchées comme celle actuellement à l’est du Congo. D’ailleurs, nombreuses exemples peuvent être évoqués pour soutenir une telle approche.

Ayant compris que la bataille de Cuito Cuanavale au sud de l’Angola en 1987-1988, pendant la longue guerre que connut ce pays, ne déboucherait plus sur aucune victoire vue la présence des forces sur le terrain dont les Sud-Africains ayant la paternité des Américains et combattant aux côtés de l’UNITA de Jonas Savimbi, « Il Commandante » Fidel Castro du Cuba dont les forces sur terrain soutenaient et combattaient du côté du MPLA, n’alla pas quatre chemins : il prit son téléphone, contacta, par personne interposée, l’ambassadeur Herman Cohen à Washington, pour ouvrir les négociations directes avec les Américains pour la fin de la guerre. La suite est connue.

De son côté aussi, ne pouvant pas remporter une victoire devant l’Apartheid et l’Apartheid lui-même aussi ne pouvant pas casser la pipe à ANC, seules des négociations de paix débouchèrent sur une nouvelle Afrique du Sud.

En Irlande du Nord, ce fut aussi la même logique sage qui prévalue et engendra les Accords de Vendredi Saint pour la fin du conflit entre les Catholiques indépendantistes et les Protestants loyalistes.

Aussi, faute de ne pouvoir chasser les FDLR, les ADF-Nalu, les vrais et les faux par la force, ne faudra-t-il pas arrêter la guerre et commencer une nouvelle guerre : la guerre de paix, après une vraie conférence sur la question quelque part avec tous les acteurs en présence, les connus et les inconnus ?

A moins que, comme ce fut le cas en 1960-1964 avec l’ONUC venue à la rescousse du même Congo, la MONUSCO actuelle n’attende qu’un élément imprévu d’environnement changeant le cours des événements comme jadis l’impact de la mort, de la façon que l’on sait, du Secrétaire Général de l’ONU d’alors le Suédois Dag Hammarskjöld, dans cet accident tragique de son avion lorsqu’en route pour trouver une solution à la crise congolaise, chose à ne certes pas souhaitée…

LE RÉGIME CONGOLAIS. Certes, c’est compliquer l’équation déjà compliquée que de tenter de chercher une réponse et une solution du côté du gouvernement congolais et le régime de Kinshasa. Un chacun semble aller de son côté quant à la volonté manifeste de ce régime d’en finir avec ces guerres de l’est…

POINT D’ORGUE. Dans une telle cacophonie ressemblant à un cafouillage orchestré, l’attribution du Prix Nobel de la Paix au Dr Denis Mukwege pourrait constituer un point d’orgue et une sonnette d’alarme capable de retentir jusqu’aux confins de la terre pour que cessent ces atrocités. Surtout que, dans ces guerres congolaises désormais, ce sont les viols des femmes qui sont devenus de vraies armes de guerre. Docteur Denis Mukwege en est le témoin dans son qualificatif célèbre de réparateurs des vagins des femmes violées, qualificatif mondialement reconnu par des prix divers car soignant plus de 50.000 femmes, alors que, curieusement, ces viols sont loin de dire leurs derniers mots.

Donc, si l’on ne prend garde, avec un gouvernement congolais dont le silence assourdissant devient presqu’interrogateur, ce Prix Nobel de la paix risquerait d’être de nouveau, à l’instar de l’indépendance, un « Prix Nobel cha-cha » ou un « Prix Nobel de la Paix Ndombolo », la danse en vogue actuellement dans la musique congolaise moderne. C’est-à-dire « avant » le Prix Nobel de la Paix à Dr Mukwege serait toujours égal à « après » le Prix Nobel de la paix.

Pour que Prix Nobel constitue une ligne effectivement rouge, il faudra que les Congolais, ses intellectuels, ses journalistes, ses écrivains, ses hommes de culture, ses cinéastes, ses musiciens, l’homme de la rue et surtout ses organisations de la société civile puissent l’adopter, se le réapproprier, sans en attendre le gouvernement congolais pour que cessent, cette fois-ci, et vraiment cette fois-ci, et maintenant, ces viols des femmes Congolaises. Et, pour cela, il n’existe pas deux pilules, il n’en existe qu’une seule : la fin de la guerre au Congo.

Mais, comme aux temps de Léopold II avec ces mains coupées des millions des Congolais, ces fins et cette fin de ces guerres congolaises passent surtout par les capitaux internationaux exploitant le Congo, ceux la Chine compris, par les exploitants du Congo, par les hommes d’affaires surtout étrangers et Congolais tirant profits de cette situation et de ces drames dont ces viols ; au fait ayant dans leurs mains et dans leurs affaires le sang des viols des Congolais. Et, ce message, faute de leur être porté par le gouvernement Congolais ou par les autres grands de ce monde qui ne semblent pas s’émouvoir des récits de l’homme qui répare les femmes, doit être porté fort par tout Congolais, dans n’importe quel bourg où il se trouve et se retrouve. Non plus en célébrant Dr Mukwege et son Prix Nobel de la Paix en « cha-cha », mais, même avec le « cha-cha », le « ndombolo » ou derrière ces prestations culturelles, en ne posant qu’une question, vraiment une seule, à tous ceux des profiteurs des guerres et des viols congolais : combien de morts et combien de femmes à violer congolais avez-vous encore besoin pour que nous vous les donnions en un seul coup; combien encore de kilogrammes d’or ; combien encore de tonnes de cassitérite ou de coltan planifiez-vous exploiter encore des terres congolaises et que nous vous les servions en une seule fois et que vous nous laissiez paitre nos vaches et nous adonner à nos champs ?

Puisqu’il n’est plus un secret pour personne que les profiteurs se retrouvent aussi du côté des dirigeants actuels Congolais eux-mêmes aussi, si l’on en croit tous les rapports et dénonciations de ces comptes en banque bien garnis à l’extérieur, comptes qu’on croit gelés depuis, la même et seule question doit leur être aussi adressée : combien encore des millions de dollars avez-vous besoin, combien de maisons et dans combien de pays les cherchez-vous et rêvez-vous vous procurer pour que l’État congolais vous les octroient et que vous dégagiez, tout simplement, sans que personne ne puisse vous en tenir rigueur sur votre médiocratie légendaire ?

LES RWANDAIS ET OUGANDAIS DANS LA SALLE DANSE. Parce que l’implication de nos voisins Rwandais et Ougandais n’est pas et n’est plus un secret sur les atrocités congolaises, à eux aussi, il faudra, carte sur table, que la question leur soit posée : combien avez-vous dépensé dans les guerres congolaises pour que nous vous les payions ou que nous nous engagions à vous les payer en échelonnant la dite dette, pour que vous nous laissiez gérer notre espace sacré qu’est notre pays et surtout exploiter nous-mêmes nos matières premières et nos ressources naturelles ?

GRAND SILENCE. Ce message nouveau et fort doit être porté par tout nouveau dirigeant souhaitant se faire élire ou sollicitant l’investiture aux nouvelles élections congolaises. Normalement. Et, tout Congolais, notamment ceux dont le travail et le job est de poser des questions à tous ces quidams impliqués dans les guerres congolaises, dans les viols des femmes congolais, dans la gestion du Congo ou prétendant aux élections ; ils doivent s’adonner à un tel devoir d’état et patriotique, sinon, ils doivent alors dégager et éviter de nous faire du bruitage pour rien dans des oreilles.

Les musiciens et artistes, pleurnichant à chaudes larmes pour la reprise des concerts musicaux dans la diaspora, ont ainsi et aussi une nouvelle occasion en or pour prouver qu’ils sont et deviennent aussi des acteurs du changement du Congo, comme hier des musiciens et des artistes ayant contribué dans la sensibilisation pour la libération de Nelson Mandela et la fin de l’apartheid. Or, la situation actuelle du Congo avec ses crises endémiques est pire que l’apartheid : c’est tout un peuple et sa destinée prise en otage par une clique, dans le pays et externe, qui se sert des troubadours et des thuriféraires connus d’ailleurs de tous et dont les méthodes et les stratégies de s’éterniser au pouvoir ne se cachent plus dans des greniers.

LA DIASPORA AUSSI. Et, à cause de sa place et de son poids dans l’opinion nationale et internationale, c’est à la diaspora de s’endosser aussi ce Prix Nobel de la Paix de Dr Denis Mukwege, pour devenir un de ses disciples, au propre comme au figuré. Le devoir

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Professeur Wangarii Mathai et Norbert

d’esquiver que son Prix Nobel de la Paix ne ressemble à l’ « indépendance cha-cha » n’est plus du ressort du Docteur Mukwege seul.

Certes, pour que la diaspora soit capable d’un tel rôle, elle doit se remettre en question ; elle doit se former et s’armer d’outils ad hoc ; elle doit développer de nouveau network ; prenant appuis sur ce nouvel élan participatif et engagée qu’elle se nomme « les combattants » ou « les résistants ». Au clair, ce qu’elle a réussit et à démontré comme étant et ayant une force de frappe capable de mobilisation en refusant et en réfutant tout concert musical depuis bientôt quinze ans, doit s’étendre et se muer pour d’autres actions plus spécifiques et proactive comme le droit de la diaspora de voter au Congo, comme par exemple le droit de participation politique malgré les nationalités prises ou acquises, comme le droit d’avoir des députés de la diaspora et un ministre, même sans portefeuille comme Albert Delvaux qui était le ministre du gouvernement Lumumba basé à Bruxelles sans portefeuille, ou encore le droit de voyager au pays natal sans visa. Ce sont là, des impératifs nouveaux où la diaspora peut se faire entendre et obtenir gain de cause, les moyens de pressions étant nombreux à leur portée.

QUESTION MENSUELLE DÉSORMAIS. Pour ne pas jeter les pierres sur les autres seulement, personnellement, chaque mois, nous allons y contribuer en posant la question, à nous-mêmes et aux autres, à savoir : à quoi nous a servi le Prix Nobel de la Paix à Dr Mukwege ? Nous ne chercherons pas que soient débobinées des diatribes d’explications et des slogans, mais des indices objectivement vérifiables. Nous-mêmes aussi ne faisant pas exception à la chose. La balle est désormais dans nos camps respectifs pour demain éviter de continuer à pleurnicher et à nous plaindre.

Le jour où j’eus l’occasion de rencontrer pour la première fois un Prix Nobel de la Paix dans ma vie, en l’occurrence la Kenyane Wangari Maathai qui l’obtint en 2004, elle m’expliqua comment son pays, le Kenya, les siens, ses compatriotes avaient sauté sur l’occasion ainsi offerte par son Prix Nobel de la Paix pour changer le devenir de leur pays. Elle avait reçu le sien pour son travail de planter les arbres, de sauver la planète et l’environnement, combien est encore important celui de Dr Denis Mukwege lui qui sauve les femmes, lui qui répare l’être de la vie, lui qui est le témoin des assassins de l’humanité, lui qui est le porte-parole pour un changement véritable au Congo-Kinshasa ! Que n’en déplaisent les calculateurs-profiteurs de ces tragédies et de ces agir et drames désormais exposés devant l’opinion avec le Prix Nobel de la Paix au Docteur Mukwege.

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Norbert avec Dr Mukwege à Londres

Il nous faudra célébrer Dr Mukwege, certes, mais il nous faudra plus : devenir des apôtres de son évangile et des prophètes de son apostolat. Sinon, nous devons nous dire être aussi des complices des viols de nos mamans et de la poursuite de la guerre, de l’exploitation et de la prédation du Congo-Kinshasa. Car, ne pas se l’approprier, c’est vraiment rater une passe en or d’un tel Prix Nobel de la Paix qui est différent de nombreux précédant Prix Nobel ayant plutôt donné l’impression d’avoir été des prix politiquement orchestrés. Quoi de plus noble de conclure avec encore Alain Mabanckou,  pour qui ce Prix Nobel de la Paix à Dr Mukwege « donne de l’espoir » car, comme la dernière ligne d’un cursus honorum après de nombreuses reconnaissances obtenues par ce premier récipiendaire Congolais d’un Prix Nobel, « jamais un Prix Nobel de la paix n’a été aussi juste que celui que vient de recevoir le Docteur Denis Mukwege ». Et lui, Dr Mukwege, ne se lassant et poursuivnt son job de témoigner de ces viols et de cette guerre, malgré la dangérosité de la chose pour sa vie plusieurs ménacée,  puisque étant un témoin pouvant parler, nous avait confié lors de son passage à Londres, voici quelques années : je demeure courageux, même si la frustration existe en se posant cette ultime question de savoir encore où dois-je pleurer, où dois-je témoigner encore, quelle prière dois-je encore continuer à adresser à Dieu ou aux hommes, lesquels, qui rencontrer encore, pour que cette guerre et ces viols du Congo cessent ? Mais, dit-il en substance, je ne me découragerai nullement…

Sans savoir que je rencontrais cette soirée-là un potentiel Prix Nobel de la Paix, désormais le deuxième rencontrée de ma modeste vie, Dr Mukwege ajouta : « Comme journaliste et écrivain Congolais de la diaspora, vous devez parler aussi de ces femmes violées, raconter ces ignominies, témoigner et rapporter ces histoires-là inhumaines, continuer à mobiliser et sérieusement à mobiliser pour que cette guerre cesse. Il nous faudra nous serrez les coudes… Ce n’est nullement ma modeste personne qui là, à Bukavu, ne fais que mon petit travail de médecin, respectant mon serment d’Hippocrate… Nous ne nous fatiguerons pas… Tant que le bon Dieu nous a fait naître dans ce pays-là, le Congo, tant que nous aurons une petite bouche pour parler de ce que nous voyons, c’est l’avenir de tout un pays qui compte… Courage… Nous ne sommes pas seuls dans cette lutte !…»

DANS LE DROIT ET BON CHEMIN. Le Prix Nobel de la Paix à Dr Dénis Mukwege est un nouveau momentum que les Congolais doivent saisir et saisir le plus rapidement possible et le plus sérieusement possible. S’il faudra paraphraser Patrice Lumumba dans sa dernière lettre à son épouse Pauline, on pourrait mettre sur les lèvres de Dr Mukwege ces mots prémonitoires de Lumumba : « … ce n’est pas ma personne qui compte. C’est le Congo, c’est notre pauvre peuple dont on a transformé l’indépendance en une cage d’où l’on nous regarde du dehors, tantôt avec cette compassion bénévole, tantôt avec joie et plaisir. Mais ma foi restera inébranlable. Je sais et je sens au fond de moi même que tôt ou tard mon peuple (…) se lèvera comme un seul homme (…) pour reprendre sa dignité sous un soleil pur ».

Tout comme nos voisins sachant bien vendre leur génocide (rwandais), il nous devient un devoir, nous aussi Congolais, de vendre notre premier Prix Nobel de la Paix et un impératif de battre le fer par le fer en tirant le profit qui s’impose : la fin de nos guerres et de ces viols de nos femmes.

Norbert MBU-MPUTU

Journaliste, écrivain et chercheur en anth. et soc.

Email : norbertmbu@yahoo.fr

 

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